Jurbise dans la tourmente

Les 7 Martyrs
Ce texte, que nous devons à la bonne obligeance de Guy Daubie — qu’il en soit remercié —, a été publié en son temps par le SPELOIR.
Nous l’avons reproduit à l’identique ; il nous a cependant paru souhaitable d’ajouter dans des encadrés quelques notes pour mieux comprendre certains points.

Le 29 août 1914, un drame atroce s'est déroulé à JURBISE : sept habitants du village furent cruellement assassinés par les troupes allemandes.
Pour rappeler les heures sombres de ce drame, il est nécessaire de situer d'abord avec précision l’endroit où les faits se sont produits.

En 1914, la rue de Simonwelz reliait la rue du Monceau à la rue du Colroy. Un passage à niveau situé près de la ferme Pécher permettait aux usagers de franchir la voie ferrée Bruxelles-Mons. Les étangs Dessilly n'existaient pas encore, ni la portion de la rue des Martyrs entre ces étangs et la ligne de chemin de fer jusqu'à la rue du Bourrelier.
Le passage à niveau était équipé de barrières roulantes. Elles étaient commandées manuellement de la maisonnette du chemin de fer voisine qu'occupaient à l'époque M. et Mme Emile TUNCKY et leurs deux enfants.
Les aiguillages à proximité de l’embranchement de la ligne Jurbise-Ath et les signaux qui les précèdent existaient déjà ; l'ensemble était commandé mécaniquement d’une cabine en bois érigée près de la gare, à l’emplacement actuel du viaduc du côté gauche en venant de Bruxelles.
A l'époque, en cas de brouillard ou de visibilité insuffisante, les signaux étaient doublés par des pétards avertisseurs qui, placés à même les rails, explosaient au passage d'un convoi. Des garde-routes étaient chargés de leur vérification régulière et un essai avait lieu chaque vendredi lors du passage du train de voyageurs venant de Soignies à 11 h 17.

Revenons au 29 août 1914. Jurbise était occupé par les Allemands depuis huit jours environ; une Compagnie de Landsturmes de Hambourg occupait la ferme près de l'église et un centre de ravitaillement fonctionnait le long de la Grand Route.

On appelle Landsturm des milices ou des unités militaires de qualité inférieure. Ces troupes non combattantes étaient le plus souvent chargées de surveiller les différentes voies de communication.

La circulation normale des trains n'était pas encore 
rétablie ; selon des témoins, quelques jours
 plus tôt, des soldats allemands avaient visité la cabine du chemin de fer près de la gare et manipulé les appareils ; n'en connaissant pas le maniement, ils avaient sans doute enclenché l'appareil de mise à feu des pétards de signalisation.

De quel « pétard » s’agit-il ?
Nous verrons plus loin qu’Emile TUNCKY ira couper le fil commandant la mise à feu. Ce ne sont donc pas de simples pétards à griffes que l’on posait à même le rail. Le fil dont il est question nous fait penser à un système plus complexe appelé "dromopétard".

Ce système se compose d'un lourd pendule en fer suspendu à un bâti de fonte par une lame d'acier flexible ; son plan d'oscillation est perpendiculaire au rail. Ce pendule est maintenu écarté de la verticale par un levier, l'un des bouts du levier est accroché au pendule et l'autre bout aboutit au rail, dont il dépasse légèrement le plan supérieur. Un pétard est installé plus loin dans le sens de la marche du train sur le rail à une certaine distance, relié au pendule par un fil.
Lorsque la première roue du train agit sur le déclic, le levier libère le pendule qui commence son oscillation ; quand le pendule achève son oscillation, le pétard est écarté du rail sous l’effet de la traction du fil.

Il se passe donc un certain laps de temps entre le moment où la roue déclenche le mouvement du pendule via le levier, jusqu'à celui où le pétard s'écarte du rail. Si le train va trop vite, il arrive sur le pétard avant que celui-ci ne soit écarté du rail et il explose.

Lorsqu'on installe cet appareil, tout l’art consiste à bien règler la distance entre le pendule et le pétard. Si la vitesse tolérée est de 30 km/h, la distance doit être de 8m33 ; de 11 m11 pour 40 km/h et de 12 m50 pour 45 km/h, etc.

Pour amorcer le dromopétard, il suffit d'accrocher la glissière terminant le fil fixé au porte-pétard et d'accrocher le pendule à son levier.

L’endroit où était placé le dromopétard se justifie par le fait qu’il contrôlait l’entrée en gare de Jurbise des trains venant de Soignies.

L’endroit où était placé le dromopétard se justifie car par le fait qu’il contrôlait l’entrée en gare de Jurbise des trains venant de Soignies.

Le 28 août, un premier train était passé sans encombre mais il roulait à contre-voie.
Le 29 août, vers 7 heures du matin, un convoi militaire venant de Soignies, tiré par une locomotive conduite par du personnel allemand, se préparait à entrer en gare de Jurbise lorsqu'à hauteur de la zone boisée occupée aujourd'hui par les étangs, un pétard éclata. Le train s'immobilisa aussitôt et ses occupants, croyant que des coups de feu avaient été tirés vers eux, se ruèrent sauvagement en bas des wagons, l’arme au bras et baïonnette au canon.
Ils se répandirent dans la rue de Simonwelz après avoir chargé un homme d'assurer la garde du passage à niveau : la famille TUNCKY, terrée dans la cave de la maisonnette, le verra faire les cent pas
sur le trottoir pendant toute l'opération de répression.
Un groupe d'Allemands gagna la ferme Pécher et y arrêta Fernand BRUNIN pendant que d'autres militaires, dans la rue du Monceau, entraient chez le plafonneur Théophile MAUFROY et l’emmenaient après avoir bouté le feu à la maison et au berceau de la petite fille du jeune ménage qu'un soldat, pris de pitié, sortit in extremis du brasier.
Pénétrant chez le voisin, André VREUX, iIs s'en emparèrent et l'abattirent froidement en face de sa demeure.
Plus loin, les soldats emmenèrent Oscar BOULARD et son neveu Georges SIMON, âgé de 17 ans.
D'autres arrestations eurent lieu le long de la Grand Route et les prisonniers furent maintenus en respect le long du mur de la propriété MICHELET. Croyant leur dernière heure venue, ils furent providentiellement sauvés par un haut gradé arrivant à cheval du centre du village que M. MICHELET interpella en allemand. L'officier donna l'ordre de libérer les quelques hommes arrêtés parmi lesquels figurait Virgile DAUBIE. Certains témoins ont même prétendu que des coups de feu furent échangés entre les soldats stationnés au village et les assaillants.

Un dernier groupe de militaires avait gagné la rue Pile de Bauffe (actuelle rue des Masnuy). Il aperçut Dominique SAUSSEZ qui tentait de se réfugier chez Charles LEDOUX à la Voie Nisole. Les Allemands l’y poursuivirent et s’emparèrent des deux hommes.
Les otages furent rassemblés à la rue Simonwelz, près du passage à niveau, où MM. BRUNIN, LEDOUX, MAUFROY et SAUSSEZ furent abattus. Quant à MM. BOULARD et SIMON — l'oncle et le neveu — ils furent emmenés à l’embranchement de la ligne d'Ath pour y être fusillés. Leurs corps, balancés en contrebas de la voie ferrée, ne furent retrouvés que le lendemain.
Leur crime commis, les occupants du train regagnèrent le convoi à l'appel du clairon. Entretemps, afin d'éviter une nouvelle catastrophe, Emile TUNCKY avait rampé jusqu'aux voies pour couper le fil commandant la mise à feu des pétards. Pour cet acte de bravoure, il reçut une distinction honorifique après la guerre.

Par crainte de nouvelles représailles, dans les registres de l'État civil de Jurbise, on enregistra le décès de chacune des sept victimes comme si la mort était intervenue au domicile. Plus tard on devait y ajouter la mention "Mort pour la Patrie". Leur nom est inscrit sur le Monument aux Morts et la rue des Martyrs commémore leur souvenir.
Après la guerre, un auteur allemand, WAXWEILLER, a fait allusion à cette fusillade de Jurbise, reconnaissant que les troupes germaniques avaient agi par erreur.



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